Interview de Normand Corbeil, compositeur de la musique d'Heavy Rain

Publié le par Heavy Rain - blog

Normand CorbeilNormand Corbeil  est compositeur de musique pour le cinéma, basé au Québec. A son actif, on compte près de cinquante bandes originales de films et de téléfilms américains et canadiens, dont quelques succès grand public (L’Art de la Guerre, Hitler - la naissance du Mal). Après avoir collaboré avec le grand Angelo Badalamenti sur Fahrenheit, le précédent titre de Quantic Dream, Normand Corbeil fut seul aux commandes de la bande originale d’Heavy Rain.

Il y a quelques temps, Gameblog a eu l'occasion de l'interviewer :

Comment vous êtes vous retrouvé à composer pour Heavy Rain ?

N.C : J’avais précédemment travaillé avec Quantic Dream sur Fahrenheit. Je suppose qu’ils ont tout simplement apprécié mon travail, donc David m’a recontacté !

Quel a été votre premier contact avec l’histoire écrite par David Cage ?  Comment avez vous procédé pour appréhender cet univers ?

N.C : J’ai tout d’abord lu le script, qui m’a permit de me familiariser avec les quatre protagonistes, leurs passés respectifs et leur profondeur. S’en est suivi un long entretien avec David, au cours duquel il m’a exposé sa vision d’Heavy Rain en tant qu’expérience nouvelle. J’ai pu m’imprégner du ton résolument adulte du jeu et de ses enjeux, d’un point de vue vidéoludique.

Je tenais donc les bases de l’histoire et de sa dimension cinématographique. Il me restait à appréhender l’ambiance générale. Cela s’est fait au contact du jeu en cours de développement. Comme pour Fahrenheit, l’ambiance visuelle est tellement lourde et marquée qu’elle véhicule un bon nombre de mots clés primordiaux pour moi.

En tant que compositeur, parfois on trouve immédiatement ses marques dans un univers, parfois cela demande beaucoup d’efforts. C’est un travail d’immersion totale.

J’imagine que composer des thèmes pour quatre personnages principaux, avec quasiment le même poids dans l’aventure, n’as pas du être une tache aisée. Pouvez vous nous en dire plus au sujet de ces quatre thèmes ?

N.C : C’est un aspect particulièrement compliqué en effet. Là encore, ma rencontre avec David a été déterminante. Nous avons longtemps discuté de cette idée de profondeur, de vulnérabilités et de sensibilités différentes. Madison, Ethan, Norman et Scott ont vraiment des personnalités tridimensionnelles. Cela m’a clairement orienté vers une différenciation des personnages par des thèmes forts. J’ai pu tracer des lignes précises entre les émotions à véhiculer.

David Cage écrit sur son blog que durant les record sessions, vous aviez enregistré chaque thème d'une multitude de manière différentes : plus de cuivres, moins de cordes, plus fort, moins fort… C’était pour étoffer le choix final ? Ou à destination de plusieurs moments ?

N.C : Pour ces deux raisons très exactement ! Primo, le nombre de résolutions possibles pour une scène était assez incroyable. Chaque variation dans la réactivité du joueur, chaque choix mène potentiellement à une version différente d’un dialogue, d’une scène d’action. J’avais besoin de me créer des scénarios musicaux, selon que l’action s’envole ou retombe, etc.…

Secundo, lorsque j’ai réalisé le travail la quantité de travail incroyable que recelait chaque scène, j’ai vraiment été bluffé. C’était la moindre des choses pour moi d’aller encore plus loin dans cette démarche en proposant un maximum de feelings différents.

A ce propos : vous avez enregistré la musique d’HR dans le fameux Abbey Road Studio, rendu célèbre par les Beatles. Ces murs ont vibré aux enregistrements de la musique du Seigneur des Anneaux. Un choix purement acoustique ? L’envie d’emboiter le pas à cette bande originale mythique ?

N.C : J’enregistre régulièrement à Abbey Road, avec le même orchestre et les mêmes collaborateurs. Je m’y sens en confiance : là bas, je ne me préoccupe que de la musique. Bien sûr, il y à cet aspect mythique, mais une fois les premiers émois passés, on y revient pour la superbe acoustique et la compétence des artistes qui y travaillent. Vous savez, la magie d’un endroit, ce n’est pas juste des murs, c’est un tout.

Vous avez collaboré avec Angelo Badalamenti (compositeur sur Twin Peaks et Mulholland Dr, entre autres) sur la musique du précédent titre de Quantic Dream, Fahrenheit. Pouvez vous expliciter votre rôle dans ce projet ?

N.C : J’avais déjà travaillé avec Angelo sur plusieurs projets. Pour Fahrenheit, Angelo commençait par travailler les sketches (les grandes lignes, NDLR) et je venais calquer mes propres compositions selon ses directives. De là, je prenais tout le matériel composé sous le bras et je partais en production. La production incluait les arrangements, les orchestrations, ainsi que la direction de musiciens, tant sur mes compositions que celles d’Angelo. J’ai énormément appris à son contact, collaborer avec lui est une des expériences les plus enrichissantes de ma carrière.

Fahrenheit et Heavy Rain partagent quelques thèmes communs : des héros à l’existence moyenne, leur confrontation à la mort, tout cela sous les eaux nourries du ciel (la neige paralyse New York dans Fahrenheit). En quoi ces deux expériences de composition diffèrent-elles ?

 N.C : C’est vrai que certaines thématiques sont semblables, mais à mon sens, Heavy Rain pousse l’expérience bien au delà de ce que Fahrenheit pouvait proposer de mieux.

Concernant mon travail, j’ai écrit la bande original d’Heavy Rain seul. J’ai fait le choix de composer l’intégralité des thèmes pour un orchestre symphonique, pour mieux coller à la dimension hollywoodienne du titre. Vu la complexité des scènes, il y à beaucoup plus de musique que dans Fahrenheit. Comme discuté plus haut, le fait qu’il y ait quatre personnages principaux avec une vraie profondeur a beaucoup influencé mon travail de composition. Au final, malgré quelques thématiques similaires, c’est un tout autre travail de composition et un tout autre jeu !

Les points communs dans la narration et dans l’ambiance découlent de l’écriture de David Cage. Il a ses points d’accroche que l’on retrouve et qui nous permettent de nous repérer. Pour moi, il y à un « style David Cage » comme il y à un « style David Lynch », et c’est tant mieux !

Etiez vous familier du monde du jeu vidéo avant Fahrenheit ? Et maintenant ?

N.C : Je n’étais pas très au fait du monde vidéoludique... La démarche créative sur Heavy Rain est très différente de ce que l’on peut voir sur le marché actuellement. Cela a amené David à chercher un son nouveau et ma faible proximité du domaine a été à mon avantage. Cela dit, je pense que Quantic Dream a ouvert une porte à la différence et que l’industrie du jeu va continuer d’innover, et intéressera d’avantage les professionnels du cinéma.

Le sujet de discussion du moment est la question de la légitimité du jeu vidéo en tant que 10ème art. Vous avez composé pour le jeu ainsi que pour le cinéma qui est un art reconnu. Pensez vous que les jeux sont des créations artistiques ? Si non, pourront-il être considérés comme tel dans l’avenir ?

N.C : De plus en plus, oui. J’ai dans l’idée que les deux domaines peuvent se rapprocher au point de faire naître une nouvelle forme d’art : le cinéma interactif. Cela permettrait à plus de gens de raconter des histoires, et plus seulement aux cinéastes de métiers, et c’est magnifique. En levant le voile sur de nouveaux horizons, on repousse les limites de l’imaginaire des créatifs.  Avec l’implication et la passion dont sont capables les joueurs, une telle forme d’art ferait la part belle aux démarches créatives nouvelles, qu’il s’agisse de l’écriture, du graphisme ou de la bande originale.

Avez-vous dans l’optique d’étendre votre travail à la composition pour d’autres jeux vidéo dans le futur ?

N.C : L’expérience a été très intéressante, alors pourquoi pas !

Une dernière question, et non des moindres : vous connaissez l’identité du tueur aux origamis ?

N.C : Aucun commentaire ;)

Source : gameblog.fr

 

Retrouvez également notre interview de Normand Corbeil, en cliquant ici.

 

Publié dans Interviews

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B
<br /> <br /> La musique est superbe mais j'ai été un peu déçu que l'ensemble des musiques de la BO à télécharger sur le PSN ne durait qu'environ 40 minutes.<br /> <br /> <br /> <br />
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